Et si on nationalisait Renault avant sa disparition de France ?

Publié le par Comité 1905 Draguignan

mardi 23 septembre 2008, par Pierre Baracca


9 septembre noir pour les salariés : Carlos Ghosn, PDG du groupe Renault, a annoncé la suppression de 6000 emplois en Europe, dont 4900 en France (1000 à Sandouville, 3900 dans Renault Maison mère), soit près de 8 % des emplois de Renault en France. Que faire quand on est salarié, quand on est syndicaliste ou un(e) élu(e) politique des gauches ?

En citoyen qui pense par moi-même, j’ai fait le tour des sites Internet de Renault, des syndicats et des partis politiques de gauche pour prendre connaissance des attitudes des un(e)s et des autres.

Qu’en est-il du groupe Renault ?

Rappel : Renault a été étatisé le 16 janvier 1945 par une ordonnance du gouvernement issu de la Résistance et dirigé par le Général de Gaulle, suite à la collaboration de Louis Renault avec les Nazis. En 1990, le gouvernement de Michel Rocard, sous la présidence de François Mitterrand, transforme Renault en Société anonyme (société par actions) qui a ouvert la voie à sa désétatisation et à sa privatisation par le gouvernement Juppé n° 2 en 1996, sous la présidence de Jacques Chirac.

 

Renault devient ainsi un groupe capitaliste aux mains d’actionnaires. C’est donc la logique de la recherche du plus grand taux de profit pour les actionnaires qui va orienter alors la destinée du groupe Renault : c’est l’européanisation et la mondialisation. Sous le gouvernement de la gauche plurielle de Lionel Jospin, en 1999 Renault s’associe au japonais Nissan, achète Dacia en Roumanie, s’associe avec Fiat pour les autobus, puis en 2000 vend sa branche « poids lourds » à Volvo et rachète le constructeur Sud-coréen Samsung, etc. Au 31 décembre 2007, le groupe Renault avait 130 000 salariés dont encore 48,5 % en France et 51,5 % à l’étranger (18,5 % en Europe, 20,8 % dans les pays de la rive sud de la méditerranée, 7,4 % aux Amériques, 4,8 % en Asie-Afrique). Le Groupe est installé dans 118 pays.(1)

Du 1er semestre 2007 au 1er semestre 2008, la marge bénéficiaire du groupe est passée de 3,5 à 4,1 %, le résultat d’exploitation est passé de 689 millions à 845 millions d’euros et le résultat financier est passé d’un résultat négatif de moins 112 millions à un excédent de 315 millions d’euros. En somme le Groupe Renault fait du profit. Carlos Ghosn reconnaît que les entreprises Renault en France sont rentables. Mais l’objectif de Carlos Ghosn est d’accroître encore les profits des actionnaires en atteignant une marge bénéficiaire de 4,5 % pour 2008 et de 6 % en 2009. C’est pourquoi, et c’est un classique du capitalisme, le PDG veut supprimer 6000 emplois pour « diminuer les coûts de production » : il n’y pas si longtemps, c’est ce qu’on appelait la surexploitation des salariés. Ghosn diminue ainsi la part de Valeur ajoutée créée allant au Travail pour la transférer au Capital, c’est à dire aux actionnaires-propriétaires de Renault, dont l’Etat français (encore 15% du capital) (2). Comment réagissent les syndicats ?

Des syndicats qui acceptent la logique mondialiste des actionnaires…

La CGT, la CFDT et FO protestent contre ces suppressions d’emploi qui visent à augmenter la marge bénéficiaire pour les actionnaires. Mais que proposent-ils ?

•La CFDT

Elle propose à la direction de baisser ses exigences de 6 % de rentabilité pour sauver l’emploi qui sera nécessaire « pour construire l’automobile de demain » et « interpelle les Pouvoirs Publics devant la gravité de la situation » (3). Pour François Chérèque , secrétaire général de la CFDT, ce serait « des erreurs stratégiques de l’entreprise » dont « les salariés de Renault « supportent la charge » (4).

• La CGT

Elle discute la pertinence de la « logique de Ghosn » qui repose sur la « baisse des salaires réels » et qui « asphyxie les sous-traitants et freine le renouvellement de la gamme ». La CGT propose d’autres critères de gestion pour le groupe Renault : « amorcer une politique de vente offensive sur la Laguna en offrant des prix plus intéressants que la concurrence », développer la recherche-développement « pour réussir le pari du véhicule électrique » (5).

• FO

La fédération FO de la Métallurgie, elle, s’inquiète de « la croissante augmentation de la fabrication de modèles dans les pays à bas coûts low cost » et des conséquences sur « l’avenir qui pourrait en découler pour les pays européens et plus particulièrement la France ». Elle « appelle donc l’Etat, qui est actionnaire, à intervenir afin de soutenir les salariés de Renault et l’industrie automobile française » (6).

Il y a de quoi s’étonner : aucune réelle contestation de la logique mondialiste du groupe automobile qu’impulse le PDG. C’est même son acceptation : on cherche à s’adapter. Pourtant cette logique mondialiste n’est pas un phénomène fatal et naturel comme la pluie ou la chaleur solaire. Ce sont des choix rationnels et opérés dans les seuls intérêts des actionnaires-propriétaires pour leurs seuls impératifs de profit et, ce, aux dépens des salariés et des entreprises sous-traitantes en France ou dans d’autres Etats-nations. Alors à quoi sert de se lamenter sur les licenciements et sur la main d’œuvre qui subit les délocalisations des unités de production là où le décident les actionnaires pour leurs profits ? S’il y a inquiétude à voir Renault ne plus exister en France, voire même en Europe, alors ne faut-il pas remettre en question cette logique de mondialisation du groupe ? Ce qui est bon pour les actionnaires du Groupe Renault est-il bon pour ses salariés en général, pour les salariés français en particulier et pour le devenir de l’économie française, des emplois de demain et d’après demain ? Et les partis de gauche ?

Les partis de gauche rompent-ils avec la logique capitaliste ?

•Au PS

Sur le site officiel du PS à cette date, rien sur Renault ! Google ne donne aucune proposition de Martine Aubry sur le devenir de Renault en France. Sur des sites de journaux, on constate que son allié actuel, Laurent Fabius, dénonce les suppressions d’emplois dans l’usine de Sandouville située dans sa circonscription législative : « La décision de la direction de Renault constitue un coup grave porté aux salariés de l’entreprise et de ses sous-traitants ainsi qu’à la région Haute-Normandie » (7). Egalement un entretien de Jean-Louis Bianco, député pro-Ségolène Royal : « Moi, je ne vois pas d’objection à ce qu’une partie de la production se trouve dans d’autres pays, dès qu’on maintient l’emploi en France et qu’on maintient le centre de décision en France (…) Carlos Ghosn, qui est un grand patron, qui a réussi cette performance de redresser Nissan, Renault rachetant Nissan, personne n’aurait osé l’espérer, c’est quelqu’un qui a perçu 3 410 000 euros de rémunération en 2007 ; il s’est augmenté sa rémunération de plus de 29% et il a perçu en revenu du capital 19 millions d’euros. Moi, j’en ai assez que les patrons de ce pays se payent à ce niveau-là et augmentent quand ça va mal, alors qu’ils demandent aux gens de partir. Je crois qu’ils devraient se méfier, on est à la veille d’une révolution, c’est comme en 1789, les efforts doivent se partager. » (8)

Déclarations cohérentes : la direction du PS ne vient-elle pas d’opter officiellement pour la mondialisation capitaliste qu’elle appelle « l’économie de marché » ? Pourquoi remettrait-elle alors en cause la logique mondialiste de Carlos Ghosn et des actionnaires de Renault ? C’était déjà la ligne de Lionel Jospin qui, en septembre 1999, alors qu’il était premier ministre, s’était déclaré choqué par la suppression de 7500 emplois chez Michelin, mais qui avait invité « à ne pas tout attendre de l’État » (9). Conclusion : une partie des électeurs du PS et des autres gauches ne l’avaient pas envoyé au second tour des présidentielles en 2002 (Chirac-Le Pen). Ligne jospinienne poursuivie par un Dominique Strauss-Khan (allié aussi de Martine Aubry) qui dirige le Fonds Monétaire International (FMI) et par un Pascal Lamy à la direction de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), deux instances néolibérales mondiales du capitalisme. C’est cette orientation que dénonce l’aile gauche à l’intérieur du PS.

• Au PCF

Sur son site national (6), les députés Daniel Paul (Le Havre) et Jean-Paul Lecocq (Seine-Maritime) interpellent Christine Lagarde, la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Ils interpellent ainsi le gouvernement, donc le niveau politique. Ils reprennent l’argumentation des syndicats(cf. ci-dessus) et que demandent-ils ? « Pour toutes ces raisons, nous vous demandons d’intervenir auprès du groupe Renault pour que cette saignée d’emplois industriels, avec leurs conséquences sur les emplois induits, soit revue, sauf à laisser entendre aux salariés et à la population, que la politique industrielle en France se décide à la corbeille . Parallèlement à ce courrier, nous intervenons auprès de Patrick Ollier, Président de la Commission des Affaires Economiques de l’Assemblée Nationale pour que, dès la rentrée de septembre, Carlos Ghosn soit auditionné sur cette stratégie qui met à mal l’emploi sur nos territoires » (10).

Rupture avec la ligne Jospin de privatisations de la Gauche plurielle ? Un peu, puisqu’il y a une timide demande d’intervention du Gouvernement. Mais pour faire quoi ? Ou la porte est ouverte ou elle fermée ! Ou le Gouvernement suit la mondialisation du Groupe en disant comme Jospin et l’Europe, ou il fait intervenir l’Etat . Mais comment ? En suivant la logique mondialiste du Groupe et en étatisant partiellement à travers une entreprise mixte Privé-Public ? Risque : le financement public (les impôts) sert de béquilles au Capital privé. Le mot « Nationalisation » a disparu de la bouche de la direction du PCF, médusée qu’elle est par la croyance au caractère naturel de la mondialisation. Or le Gouvernement américain de Bush est, lui, plus décomplexé sur le rôle de l’Etat puisqu’il n’hésite pas à étatiser les pertes du secteur bancaire américain en faillite en déboursant 700 milliards de dollars (11), donc à « socialiser les pertes » ; ce qui revient à renflouer la bourgeoisie capitaliste en faisant payer le reste de la société.

• A la LCR d’Olivier Besancenot

Même « sentiment de révolte » que les syndicats contre les licenciements pour « verser toujours plus de dividendes aux actionnaires » (12). Et même dénonciation : « les patrons licencient pour délocaliser, augmenter leurs marges bénéficiaires » (12). Mais si la LCR refuse les délocalisations, cela ne la gêne pas de dire en même temps que « c’est désormais dans cet espace [la globalisation capitaliste] qu’il faut penser les luttes, la construction, d’un nouveau mouvement ouvrier (…) Plus que jamais il n’existe pas de solution nationale… » (13). Raisonnement curieux : non aux délocalisations et oui à la mondialisation ? A vrai dire la solution demeure surtout « travailler à la convergence des luttes », « mettre en échec la politique du MEDEF, c’est tous ensemble, en faisant la grève » (12). Si cette orientation est celle du futur Parti Anticapitaliste, elle ne gênera ni le MEDEF en France, ni ses frères ailleurs. Et on se demande pourquoi Olivier Besancenot refuse la privatisation de la Poste et défend le Service public français de la Poste, s’il n’y a pas de solution nationale au socialisme.

• Et les Verts ?

Les 6000 suppressions de postes résultent de « la volonté de satisfaire à court terme des actionnaires et donc d’augmenter les marges (…) » (14).

Solution : « L’industrie automobile doit s’adapter d’une part à la demande unanime des émissions de gaz à effet de serre et d’autre part à un pouvoir d’achat diminué par l’augmentation du prix des carburants » (14). On avait peur qu’on nous propose de rouler à vélo comme les Chinois pauvres du temps de Mao, mais heureusement « Il faut imaginer la voiture de demain : ce sera une voiture à faible consommation ou à énergies alternatives… » (14).

Action politique : « Les Verts lancent aujourd’hui une invitation aux constructeurs et aux syndicats à discuter de l’avenir de l’automobile » (14). Pas de remise en cause de la logique mondialiste du Groupe Renault : les actionnaires ont tout au plus à faire des discours sur la pollution, en espérant que…

Pistes pour une perspective progressiste

Une telle acceptation de la stratégie mondialiste patronale n’est guère mobilisatrice socialement et va conduire à la disparition de l’industrie automobile en France. Pas étonnant que le monde du travail ait le sentiment d’une déroute de la pensée et de l’action des syndicats et des gauches.

Accepter la mondialisation capitaliste comme naturelle, c’est être à la remorque des décisions patronales et accepter qu’il ne peut y avoir de souveraineté populaire. C’est retirer les activités économiques du champ de la démocratie pour réserver les décisions à une élite bourgeoise cosmopolite.

La solution pour les salariés, les professions libérales, les travailleurs indépendants et le patronat non-mondialiste passe-t-elle par une autre mondialisation, par l’« altermondialisme » ? Non, l’« altermondialisme » a été subtilement substitué à « l’antimondialisme » initial de mouvements comme ATTAC afin provoquer l’acceptation résignée de la mondialisation capitaliste et empêcher toute possibilité de s’y opposer. Eil s’agissait surtout d’empêcher de penser que l’on pourrait encore nationaliser des entreprises afin de préserver la cohésion sociale de la société française au sein de son Etat-Nation.

Et si on nationalisait Renault avant que cette entreprise ne disparaisse du territoire français ? D’autant que Renault n’a jamais été nationalisé, mais simplement étatisé. La nationalisation conçue par le Conseil National de la Résistance prévoyait une gestion tripartite : le gouvernement via l’Etat, les salariés via les syndicats et les usagers. Ce qui n’a pas été appliqué. Réfléchissons pour éviter le bureaucratisme et la délégation de pouvoir, sans pour autant tomber dans l’illusion du basisme (seul pouvoir à la base).

Mais Renault est dans 118 pays, penserez-vous ? Oui, d’accord et alors ? Discutons de la nécessité de développer économiquement et socialement chaque pays sur la base de la coopération. En quoi serait-il gênant que Dacia et ses Logan soient Roumains ? De toute façon sa filialisation actuelle dans le Groupe Renault ne rapporte rien aux salariés français et ne fait pas entrer d’impôts dans les caisses de l’Etat français.

En somme nationaliser c’est nouveau. Et c’est un avenir de coopération enttre les Etats-nations et de non-domination des peuples par l’Argent.

Pierre Baracca

(1)- Les données chiffrées qui précèdent proviennent du site de Renault, 21 septembre 2008 : http://www.renault.com/renault_com/fr/images/ATLAS_FR-interactif_tcm1119-731086.pdf

(2)- Au 31 décembre 2007. Source : note (1).

(3)- http://www.cfdt.fr, le 12 septembre 2008.

(4)- http://www.liberation.fr/actualite/economie_terre/350910.FR.php ?rss=true&xtor=RSS-450

(5)- http://www.cgt-renault.com/documents/usines/tract_30908.doc , le 8 septembre 2008.

(6)- http://www.fo-metaux.com/frame.html , 11 septembre 2008.

(7)- 20Minutes.fr, éditions du 09/09/2008 : http://www.20minutes.fr/article/250682/Economie-Pres-de-6-000-suppressions-d-emplois-a-venir-chez-Renault.php

(8)- Entretien de Jean-Louis Bianco sur Radio Classique, le 10 septembre 2008 (écouter l’intervalle allant de 7mn35 à 9mn38) : http://www.jean-louis-bianco.com/ ?p=319

(9)-Le 21 septembre 2008 : http://www.humanite.fr/1999-09-14_Politique_L-interview-du-premier-ministre-hier-soir-sur-France-2-JOSPIN-A

(10)- Le 21 septembre 2008 : http://www.pcf.fr/spip.php ?article3044

(11)-Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 22/09/2008 : http://www.lefigaro.fr/economie/2008/09/22/04001-20080922ARTFIG00320-crise-bancaire-washington-deboursemilliards-.php

(12)- Site LCR, le 21/09/2008, communiqué du 10 septembre 2008 : http://www.lcr-rouge.org/impression.php3 ?id_article=2269

(13)- Site de la LCR, 21/ 09/2008 : http://www.lcr-rouge.org/impression.php3 ?id_article=1685

(14)- Site Les Verts, 21/09/2008 : http://lesverts.fr/article.php3 ?id_4173&action=point

Publié dans Politique et société

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